A Tamanrasset, l’eau potable est toujours aussi précieuse. Neuf mois
après la mise en service du mégaprojet de transfert d’eau In
Salah-Tamanrasset, les habitants s’approvisionnent toujours en citernes.
En cause : salinité de l’eau, fuites et vétusté des canalisations. En
ville, tout le monde a désormais la preuve que le projet a été réalisé
pour alimenter en priorité un pôle industriel.
L’eau coule dans les robinets des Tamanrastis, mais pas autant que
l’argent dépensé pour... acheter de l’eau potable. Neuf mois après la
réception du mégaprojet de transfert d’eau à partir de la nappe albienne
d’In Salah vers la wilaya de Tamanrasset, l’eau potable demeure un luxe
pour la population. Les vieilles habitudes n’ont pas changé dans la
capitale de l’Ahaggar. Comme avant, les camions-citernes sillonnent
plusieurs fois par jour les quartiers de la ville, les fardeaux d’eau
s’achètent comme des petits pains et les sources d’eau douce ne
désemplissent pas. La majorité des habitants refuse de boire cette eau
précieuse, tant attendue. De l’avis de nombreux citoyens des quartiers
desservis par le transfert, l’eau présente un taux de salinité
«anormal», voire très élevé.
Ceci rend systématiquement impossible son utilisation pour la
consommation, la cuisine et en particulier la préparation du thé,
tradition indissociable du Sud algérien. «Lorsque je lave la vaisselle,
je trouve des traces blanches dessus», confie une mère de famille. Une
autre ménagère nous apprend «ne jamais pouvoir cuisiner avec cette eau,
notamment les légumes secs». Une autre partie des quartiers de
Tamanrasset ne connaît pas ce problème puisqu’elle n’est toujours pas
raccordée. Dans les quartiers apparemment plus chanceux, les fuites dues
à la vétusté du réseau de canalisations les privent carrément d’eau.
Pourtant, le gouvernement n’a pas lésiné sur les moyens pour réaliser le
plus grand projet depuis l’indépendance dans cette région dépourvue de
sources hydriques.
Saumâtre
Un budget colossal de 197 milliards de dinars a été alloué pour ce
transfert d’eau de 750 km, un lancement très médiatisé et une
importation de main-d’œuvre étrangère assez coûteuse : toutes les
conditions étaient réunies pour apaiser la soif des habitants de
Tamanrasset. Alors pourquoi le projet ne satisfait-il toujours pas la
population ? Que sont devenus la station de déminéralisation et le
nouveau réseau de raccordement ? Le projet n’a-t-il pas été réalisé à
100% ? Ou a-t-il été construit pour d’autres objectifs comme l’attestent
certains ? La salinité de l’eau fait polémique à Tamanrasset. Une
réalité confirmée par Liess Hidouci, directeur général du projet. «L’eau
est saumâtre certes, mais elle répond aux normes requises par
l’Organisation mondiale de la santé, et les analyses effectuées
régulièrement sur cette eau le prouvent», explique-t-il.
Même son de cloche chez Messaoud Terra, directeur de l’alimentation en
eau potable au ministère des Ressources en eau : «L’eau provenant d’In
Salah est de 1,7g de chlorures, qui seront réduits à 1 g seulement après
la réalisation de la station de déminéralisation», promet-il. Cette
station de déminéralisation, prévue à In Salah, devait accompagner la
réalisation du transfert d’eau. Mais à ce jour, les travaux ne sont
toujours pas entamés. Le projet de réalisation de la station sera lancé,
selon la tutelle, en 2012. En attendant, les habitants de Tamanrasset
continuent à s’approvisionner en eau potable, grâce à des
camions-citernes, au nombre d’environ 350, qui font le tour de la ville
afin de remplir les citernes installées chez les particuliers, dans les
institutions publiques, les restaurants, etc.
Calculs… rénaux
Une citerne de 2000 l est, par exemple, cédée à 1000 DA, pour un usage
d’une semaine en moyenne pour une famille, ce qui atteint la coquette
somme de 5000 à 6000 DA par mois. Ce qui n’est pas à la portée de tous
les consommateurs. Les Tamanrastis font donc appel au «livreur d’eau»
qui remplit à l’aide d’un tuyau la citerne – parfois deux – déjà
installée, tellement la demande est importante. Puisée des puits, l’eau
des citernes sert à la cuisson et à la consommation. Certains préfèrent
faire la navette jusqu’au puits d’Izarzi, situé à une dizaine de
kilomètres à la sortie sud de la ville de Tamanrasset pour se procurer
de l’eau potable et… gratuite. Quant à celle provenant d’In Salah, les
ménages l’utilisent spécialement pour la lessive, le nettoyage et la
toilette. «Je ne peux préparer du thé avec l’eau du robinet. Je suis
déçu, car je comptais beaucoup sur ce projet», témoigne un serveur dans
un café à Sersouf. Un sentiment partagé par Malika, enseignante nordiste
habitant dans le quartier d’Adriane.
«Je n’ai jamais pris le risque de boire cette eau. C’est vrai qu’elle
sert à faire le ménage, à arroser les plantes… mais pas plus !»,
affirme-t-elle. Un médecin ayant exercé pendant plusieurs années à In
Salah, préférant garder l’anonyme, déclare avoir reçu des centaines de
patients souffrant de calculs rénaux. «Une chose est sûre : l’eau salée
est l’un des facteurs de cette maladie», affirme-t-il. Outre la salinité
de l’eau, les consommateurs doivent subir la vétusté du réseau de
distribution en eau datant… des années 1970 ! Il ne répond plus aux
exigences requises compte tenu du volume de la distribution quotidienne
moyenne, de 18 000 m3. Pire, les canalisations déjà en place n’avaient
jamais fonctionné avant la réalisation du transfert d’eau In
Salah-Tamanrasset. Depuis, le réseau ne cesse de montrer ses
défaillances et son incapacité à supporter la pression des eaux
transférées. «Il est insensé d’utiliser un réseau aussi vieux et de
s’attendre à ce qu’il n’y ait pas de fuite, d’éclatement de tous les
côtés !», s’exclame un cadre habitant à Sersouf. A Tafsit, à Malta ou à
Adriane, pour ne citer que ces quartiers, des flaques d’eau se forment
dans quasiment toutes les rues.
Réseau vétuste
Les services de l’Algérienne des eaux ont déjà procédé, selon des
habitants de la wilaya, à la réfection de certaines fuites, mais de
manière «palliative». Les mêmes conduites éclatent quelques jours après
leur réparation. Résultat : même les quartiers raccordés ne sont pas à
l’abri du manque d’eau. De leur côté, les services de l’ADE de la wilaya
de Tamanrasset ont fait appel à un bureau d’études français, Seureca,
pour établir une étude sur un nouveau réseau en alimentation d’eau
potable. Son lancement est prévu pour le premier trimestre de l’année
prochaine. Mais les services de l’ADE ne pourront crier victoire avant
d’en finir avec le problème des branchements illicites dans la ville.
«Tous les moyens sont bons pour “piquer” de l’eau», ironise un jeune
chômeur. De nombreux particuliers se raccordent aux canalisations à
l’aide de systèmes de tuyauterie improvisée, ce qui multiplie le nombre
de fuites d’eau.
Au train où vont les choses, les habitants de Tamanrasset commencent à
croire à l’hypothèse selon laquelle le projet de réalisation du
transfert d’eau In Salah-Tamanrasset aurait vu le jour pour alimenter le
pôle industriel prévu dans la zone d’activité de Tidsi où plusieurs
fabriques et usines seront réalisées. Et non pas pour la population. «La
quantité d’eau parvenue à Tamanrasset dépasse largement les besoins de
la ville, ce qui amène à douter des réels objectifs de ce projet»,
soutient un cadre habitant au centre-ville. Une version qui nous a été
confirmée à Alger par des cadres proches du projet.
après la mise en service du mégaprojet de transfert d’eau In
Salah-Tamanrasset, les habitants s’approvisionnent toujours en citernes.
En cause : salinité de l’eau, fuites et vétusté des canalisations. En
ville, tout le monde a désormais la preuve que le projet a été réalisé
pour alimenter en priorité un pôle industriel.
L’eau coule dans les robinets des Tamanrastis, mais pas autant que
l’argent dépensé pour... acheter de l’eau potable. Neuf mois après la
réception du mégaprojet de transfert d’eau à partir de la nappe albienne
d’In Salah vers la wilaya de Tamanrasset, l’eau potable demeure un luxe
pour la population. Les vieilles habitudes n’ont pas changé dans la
capitale de l’Ahaggar. Comme avant, les camions-citernes sillonnent
plusieurs fois par jour les quartiers de la ville, les fardeaux d’eau
s’achètent comme des petits pains et les sources d’eau douce ne
désemplissent pas. La majorité des habitants refuse de boire cette eau
précieuse, tant attendue. De l’avis de nombreux citoyens des quartiers
desservis par le transfert, l’eau présente un taux de salinité
«anormal», voire très élevé.
Ceci rend systématiquement impossible son utilisation pour la
consommation, la cuisine et en particulier la préparation du thé,
tradition indissociable du Sud algérien. «Lorsque je lave la vaisselle,
je trouve des traces blanches dessus», confie une mère de famille. Une
autre ménagère nous apprend «ne jamais pouvoir cuisiner avec cette eau,
notamment les légumes secs». Une autre partie des quartiers de
Tamanrasset ne connaît pas ce problème puisqu’elle n’est toujours pas
raccordée. Dans les quartiers apparemment plus chanceux, les fuites dues
à la vétusté du réseau de canalisations les privent carrément d’eau.
Pourtant, le gouvernement n’a pas lésiné sur les moyens pour réaliser le
plus grand projet depuis l’indépendance dans cette région dépourvue de
sources hydriques.
Saumâtre
Un budget colossal de 197 milliards de dinars a été alloué pour ce
transfert d’eau de 750 km, un lancement très médiatisé et une
importation de main-d’œuvre étrangère assez coûteuse : toutes les
conditions étaient réunies pour apaiser la soif des habitants de
Tamanrasset. Alors pourquoi le projet ne satisfait-il toujours pas la
population ? Que sont devenus la station de déminéralisation et le
nouveau réseau de raccordement ? Le projet n’a-t-il pas été réalisé à
100% ? Ou a-t-il été construit pour d’autres objectifs comme l’attestent
certains ? La salinité de l’eau fait polémique à Tamanrasset. Une
réalité confirmée par Liess Hidouci, directeur général du projet. «L’eau
est saumâtre certes, mais elle répond aux normes requises par
l’Organisation mondiale de la santé, et les analyses effectuées
régulièrement sur cette eau le prouvent», explique-t-il.
Même son de cloche chez Messaoud Terra, directeur de l’alimentation en
eau potable au ministère des Ressources en eau : «L’eau provenant d’In
Salah est de 1,7g de chlorures, qui seront réduits à 1 g seulement après
la réalisation de la station de déminéralisation», promet-il. Cette
station de déminéralisation, prévue à In Salah, devait accompagner la
réalisation du transfert d’eau. Mais à ce jour, les travaux ne sont
toujours pas entamés. Le projet de réalisation de la station sera lancé,
selon la tutelle, en 2012. En attendant, les habitants de Tamanrasset
continuent à s’approvisionner en eau potable, grâce à des
camions-citernes, au nombre d’environ 350, qui font le tour de la ville
afin de remplir les citernes installées chez les particuliers, dans les
institutions publiques, les restaurants, etc.
Calculs… rénaux
Une citerne de 2000 l est, par exemple, cédée à 1000 DA, pour un usage
d’une semaine en moyenne pour une famille, ce qui atteint la coquette
somme de 5000 à 6000 DA par mois. Ce qui n’est pas à la portée de tous
les consommateurs. Les Tamanrastis font donc appel au «livreur d’eau»
qui remplit à l’aide d’un tuyau la citerne – parfois deux – déjà
installée, tellement la demande est importante. Puisée des puits, l’eau
des citernes sert à la cuisson et à la consommation. Certains préfèrent
faire la navette jusqu’au puits d’Izarzi, situé à une dizaine de
kilomètres à la sortie sud de la ville de Tamanrasset pour se procurer
de l’eau potable et… gratuite. Quant à celle provenant d’In Salah, les
ménages l’utilisent spécialement pour la lessive, le nettoyage et la
toilette. «Je ne peux préparer du thé avec l’eau du robinet. Je suis
déçu, car je comptais beaucoup sur ce projet», témoigne un serveur dans
un café à Sersouf. Un sentiment partagé par Malika, enseignante nordiste
habitant dans le quartier d’Adriane.
«Je n’ai jamais pris le risque de boire cette eau. C’est vrai qu’elle
sert à faire le ménage, à arroser les plantes… mais pas plus !»,
affirme-t-elle. Un médecin ayant exercé pendant plusieurs années à In
Salah, préférant garder l’anonyme, déclare avoir reçu des centaines de
patients souffrant de calculs rénaux. «Une chose est sûre : l’eau salée
est l’un des facteurs de cette maladie», affirme-t-il. Outre la salinité
de l’eau, les consommateurs doivent subir la vétusté du réseau de
distribution en eau datant… des années 1970 ! Il ne répond plus aux
exigences requises compte tenu du volume de la distribution quotidienne
moyenne, de 18 000 m3. Pire, les canalisations déjà en place n’avaient
jamais fonctionné avant la réalisation du transfert d’eau In
Salah-Tamanrasset. Depuis, le réseau ne cesse de montrer ses
défaillances et son incapacité à supporter la pression des eaux
transférées. «Il est insensé d’utiliser un réseau aussi vieux et de
s’attendre à ce qu’il n’y ait pas de fuite, d’éclatement de tous les
côtés !», s’exclame un cadre habitant à Sersouf. A Tafsit, à Malta ou à
Adriane, pour ne citer que ces quartiers, des flaques d’eau se forment
dans quasiment toutes les rues.
Réseau vétuste
Les services de l’Algérienne des eaux ont déjà procédé, selon des
habitants de la wilaya, à la réfection de certaines fuites, mais de
manière «palliative». Les mêmes conduites éclatent quelques jours après
leur réparation. Résultat : même les quartiers raccordés ne sont pas à
l’abri du manque d’eau. De leur côté, les services de l’ADE de la wilaya
de Tamanrasset ont fait appel à un bureau d’études français, Seureca,
pour établir une étude sur un nouveau réseau en alimentation d’eau
potable. Son lancement est prévu pour le premier trimestre de l’année
prochaine. Mais les services de l’ADE ne pourront crier victoire avant
d’en finir avec le problème des branchements illicites dans la ville.
«Tous les moyens sont bons pour “piquer” de l’eau», ironise un jeune
chômeur. De nombreux particuliers se raccordent aux canalisations à
l’aide de systèmes de tuyauterie improvisée, ce qui multiplie le nombre
de fuites d’eau.
Au train où vont les choses, les habitants de Tamanrasset commencent à
croire à l’hypothèse selon laquelle le projet de réalisation du
transfert d’eau In Salah-Tamanrasset aurait vu le jour pour alimenter le
pôle industriel prévu dans la zone d’activité de Tidsi où plusieurs
fabriques et usines seront réalisées. Et non pas pour la population. «La
quantité d’eau parvenue à Tamanrasset dépasse largement les besoins de
la ville, ce qui amène à douter des réels objectifs de ce projet»,
soutient un cadre habitant au centre-ville. Une version qui nous a été
confirmée à Alger par des cadres proches du projet.